« La Grèce a échoué à construire un Etat moderne »

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L’historien Nikolas Bloudanis est spécialiste de la Grèce moderne et contemporaine. Dans ses ouvrages Faillites grecques, une fatalité historique ? (2010, éditions Xérolas) et Histoire de la Grèce moderne, 1828-2010 (2013, L’Harmattan), il explique que depuis son indépendance, en 1830, Athènes n’a pas réussi à construire une administration publique fonctionnelle.

La Grèce est en crise depuis six ans. Comment en est-elle arrivée là ?

Si l’on s’attache à l’époque contemporaine, l’origine du problème remonte à 1981, lorsque Athènes a intégré la Communauté économique européenne. Dès lors, le pays a reçu chaque année l’équivalent de 4 % de son produit intérieur brut (PIB) en fonds structurels et aides communautaires diverses. Une formidable opportunité qui n’a pas été utilisée pour construire un système productif solide. Cette manne a, au contraire, été détournée au profit d’un ensemble de catégories professionnelles diffuses. Des cabinets de conseil se sont même spécialisés sur le créneau : aider les collectivités locales et les villes à capter et répartir les subventions européennes, sans véritable préoccupation pour l’intérêt général.

Pour quelle raison la dette publique hellène a-t-elle augmenté dans de telles proportions ?

Entre 2002 et 2009, l’Etat grec a dépensé 830 milliards d’euros en tout, alors que ses recettes se sont élevées à 680 milliards d’euros. Autrement dit : il vivait très clairement au-dessus de ses moyens. D’où l’envolée de l’endettement. Depuis l’introduction de l’euro, la Grèce s’est vue offrir des taux d’intérêt très avantageux. Mais les gouvernements successifs ont, là encore, gaspillé cette opportunité. Tous ont considéré les emprunts comme des revenus fermes. Ils les ont notamment utilisés pour construire une prospérité artificielle et un système social très généreux, avec par exemple des pré-retraites à 45 ans pour certaines mères de famille, des congés maternité d’un an… Ce n’était malheureusement pas tenable.

Pourquoi l’Etat grec est-il défaillant ?

Depuis son indépendance en 1830, et surtout depuis la chute de la dictature des colonels en 1974, la Grèce n’a jamais vraiment construit un Etat moderne, c’est-à-dire fonctionnant correctement. La fonction publique est en grande partie incompétente. Et pour cause : les recrutements reposent sur le clientélisme. Les avancements sont fondés sur l’ancienneté, jamais sur les qualités professionnelles, y compris au sommet de la hiérarchie, dans les ministères.

D’autres pays, bien sûr, souffrent aussi de tels maux. Mais en Grèce, ils sont poussés à leur extrême. En France, Charles de Gaulle a créé l’Ecole nationale d’administration en 1945 pour mettre fin au clientélisme qui régnait en maître sous la IIIe République, et pour qu’un personnel qualifié fasse tourner l’Etat. En Grèce, il n’existe aucune formation consacrée aux fonctionnaires ! La gestion des ressources humaines s’y fait en dépit du bon sens.

On dit souvent que la Grèce est rongée par la corruption, les pots-de-vin, l’évitement de l’impôt… Est-ce caricatural ?

Hélas non. Le refus de l’impôt est un héritage de la domination du pays par l’Empire ottoman, mais aussi, des premiers gouvernements grecs indépendants, après 1830. Dans les deux cas, l’Etat n’offrait rien au peuple en échange de l’impôt prélevé. Les services publics étaient inexistants, ou lamentables, et cela était vécu comme une injustice. Pourquoi payer pour une administration déficiente ?

Les dysfonctionnements d’une partie de la fonction publique contribuent également à la culture du pot-de-vin. Pour être sûr que leur dossier soit traité à temps, que leur enfant soit soigné par le bon médecin, les Grecs préfèrent donner un billet, si cela leur garantit de ne pas tomber sur un incompétent…

Les partenaires européens reprochent à Athènes de ne pas avoir appliqué correctement les réformes demandées depuis 2010. A juste titre ?

En partie. L’administration a, il est vrai, résisté à l’application de nombreuses mesures, pourtant adoptées par le Parlement. Mais elle n’est pas la seule fautive. Sur le terrain, de nombreuses professions « protégées » ont également freiné des quatre fers, comme les taxis, les pharmaciens ou encore les kiosquiers.

La potion de rigueur demandée à la Grèce est-elle adaptée ?

L’austérité était difficilement évitable. Mais, en 2010, les mesures susceptibles de protéger l’emploi et de favoriser l’investissement privé ont été négligées. Le calendrier était par ailleurs bien trop serré : on a demandé à la Grèce d’appliquer en cinq ans les réformes que les pays d’Europe de l’ouest ont mis en œuvre sur plus de vingt ans, depuis les années 1980.

Il est indiscutable que la Grèce vivait au-dessus de ses moyens. L’Etat social, très généreux, était financé à crédit. Mais ce n’est pas pour autant que la colère des Grecs, en particulier ceux des classes moyennes, n’est pas légitime : ils ont tout perdu.

La Grèce était-elle prête à entrer dans l’euro ?

Non. Elle n’était pas prête. Tout le monde, y compris les dirigeants européens, s’est voilé la face. Mais attention : cela ne signifie par pour autant qu’expulser aujourd’hui Athènes de l’euro soit une bonne idée. Ce serait au contraire une catastrophe. La Grèce est en effet un gros importateur de matières premières alimentaires de base. Un Grexit ferait flamber le prix de ces produits, du fait de la dévaluation. Les Grecs seraient violemment pénalisés.

Le troisième plan d’aide s’accompagnera d’une mise sous tutelle des finances publiques grecques par les institutions européennes. Vos ouvrages rappellent que ce n’est pas la première fois…

En effet. La Grèce a fait faillite à plusieurs reprises depuis son indépendance. Ce fut ainsi le cas en 1893 : les Grecs, animés d’un sursaut de fierté nationale, refusèrent dans un premier temps l’aide des créanciers européens du pays. Mais l’organisation coûteuse des Jeux olympiques de 1896 – comme celle des JO de 2004 ! – aggrava l’asphyxie financière de l’Etat.

Résultat : le Parlement se résolut finalement à accepter la tutelle de ses grands voisins européens, France, Grande-Bretagne, Allemagne, Italie, Russie et Autriche. Ceux-ci prirent la main sur le budget et les dépenses.

Le parallèle avec la situation d’aujourd’hui est troublant. Mais la comparaison s’arrête là : à l’époque, la jeune Grèce, tout juste indépendante, était encore un jouet aux mains des puissances occidentales colonialistes.
Marie Charrel
Journaliste macroéconomie / politique monétaire

 

Πηγή LeMonde.fr

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